« Que reste-t-il de nos amours, Que reste-t-il de ces beaux jours… »
La célèbre chanson de Trénet, reprise notamment par Dalida, Nana Mouskouri et Yves Montand me revient en mémoire en ces jours où le Canada s’apprête à souffler les 150 bougies de la Conférence de Charlottetown, où, avec celle de Québec, s’est défini le projet de constitution du Canada. À cette occasion, 100 jeunes provenant de partout au pays – dont l’auteur de ces lignes - se réuniront à Charlottetown dans le cadre de la Conférence du nouveau Canada, afin de dégager une vision d’avenir pour le pays, à travers un cahier d’idée portant sur des enjeux divers.
À l’approche des 150 ans du Canada, beaucoup, au Québec en particulier, salivent déjà à l’idée de rappeler du haut de leur tribune, la nébuleuse entourant le processus controversé ayant conduit à l’union des colonies britanniques d’Amérique du Nord en 1867, alors que d’autres en profitent déjà pour exulter leur mépris et leur haine d’un pays dont ils estiment le projet échoué en sautant sur l’occasion pour déterrer la hache de guerre d’un combat manichéen pour le salut d’une nation québécoise opprimée par un Canada prétendument machiavélique.
Il est, d’emblée, indéniable qu’une vaste portion de l’histoire du Canada demeure noircie par les taches d’une confrontation parfois violente entre conquérants anglo-saxons, défenseurs d’un rempart fragile de l’empire britannique face à une menace étasunienne dont l’indépendance n’était pas sans rappeler sa vincibilité ; Canadiens-français en expansion sur continent depuis longtemps investi à travers les alliances franco-indiennes et une épopée nourrie par la mission apostolique de ces défenseurs de la foi catholique en Amérique du Nord ; Acadiens aspirant à la quiétude après la douleur d’incessantes migrations persistant depuis le Grand Dérangement ; des nations autochtones inextricables au paysage, tentant de perpétuer leur mode de vie plusieurs fois millénaire et que l’on tente d’inscrire dans le déclin d’une époque révolue ; des Métis, victimes de leur double identité rouge et « froggie » ; et , à travers cela, des immigrants du monde en entier, surtout de l’Europe, témoins de l’échec des Vieux pays et animés par l’espoir du rêve américain.
Et pourtant, 150 ans plus tard, le Canada a réussi à atteindre l’équilibre d’une remarquable paix sociale, qui sans nécessairement être unique au monde, contraste avec les nombreux régimes totalitaires réprimant l’expression de la liberté et des droits humains ; avec les guerres et conflits civils qui ravagent périodiquement l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie ; avec les tensions inter-ethniques et multiraciales européennes et la ségrégation - tranquille mais persistante - marquant la société étasunienne.
L’arrivée au pouvoir de Pierre E. Trudeau, en 1968 – permise en grande partie grâce à l’essor d’un nationalisme québécois et francophone souhaitant se réaffirmer dans le pays légué par leurs ancêtres - et l’émergence d’un « French Power » suite à l’adoption de la Loi sur les langues officielles, constitueront les premières étapes d’un recalibrage et d’un raffinement identitaire qui aviveront le rapatriement de la Constitution en 1982. Fondamentalement, tous les humains aspirent au bonheur et c’est ce qui motive l’essentiel des actions qu’ils mettent en œuvre. Si aujourd’hui, le Canada, à l’instar de tous les pays du monde, ne saurait être exempt de tout problème et demeure en soi, très imparfait ; il n’en demeure pas moins que nos ressources abondantes (en particulier l’eau et l’espace) et notre paix sociale exceptionnelle faisant pâlir d’envie toutes les nations et dont la Charte canadienne des droits et libertés représente probablement la meilleure garantie, font du Canada une terre des plus fertiles pour le développement et l’épanouissement humains et lui ont d’ailleurs permis de se hisser premier à l’échelle mondiale au chapitre de l’indice de développement humain sous les années Chrétien. Nous sommes maintenant loi de la thèse des « nègres blancs d’Amérique » qui avait nourri le vent de changement, au Québec, lors de la Révolution tranquille. Dans la plupart des provinces, de citoyens parmi les plus pauvres dans les années 1960, le revenu moyen des francophones surpasse désormais celui de la population en général. Que de progrès accomplis depuis…
Le Canada, un échec ?
Aujourd’hui, le Canada perpétue sa tradition plusieurs fois millénaire de terre d’accueil et de réunion de communautés humaines originant de tous les coins de la planète.
Aujourd’hui, les francophones peuvent désormais s’épanouir à la grandeur du pays, un développement soutenu et constitutionnalisé à travers la Loi sur les langues officielles (garantissant également le soutien du gouvernement fédéral aux communautés de langue minoritaire), la Charte canadienne des droits et libertés (adoptée par un gouvernement libéral formé de 74 députés québécois et d’une douzaine de députés francophones hors-Québec (sur 147 membres du caucus), formant 58,5 % de la députation libérale et plébiscité par 64 % des Québécois aux élections de 1980. En se prévalant à deux reprises de la clause dérogatoire, le Québec a lui aussi reconnu de facto la Constitution de 1982) ; dans la province de Québec, la vigilance de son gouvernement à l’égard de sa culture et de ses champs de compétences – en lesquels son Assemblée nationale est souveraine, dans les limites du respect de la Constitution, à l’instar des autres législatures provinciales - et dans une certaine mesure, sa proactivité, encore trop limitée à l’échelle du pays, en expansion depuis les années Charest avec la mise en place du Conseil de la Fédération et la création du Centre de la francophonie des Amériques notamment. Quant à eux, les Acadiens ont su se reprendre la place qui leur revient légitimement, leurs droits linguistiques étant désormais enchâssés dans la Constitution, en particulier ceux des Acadiens du Nouveau-Brunswick, tout en étant désormais reconnus comme l’une des principales forces de dynamisme du Canada maritime et de l’Atlantique.
Aujourd’hui, malgré des défis sociaux plus que jamais préoccupants, les Premières nations ont vu leurs droits et leur singularité cristallisés à travers la Charte canadienne des droits et libertés. Le dynamisme de la jeunesse autochtone et le récent jugement de la cour suprême portant sur un titre ancestral autochtone sur un territoire semblent par ailleurs prometteurs pour leur avenir.
Aujourd’hui, la reconnaissance du caractère « indien » des Métis (2014) est porteuse d’espoir pour un peuple dont la floraison fut longtemps accablée, pour ne pas dire empêchée.
Aujourd’hui, surtout, le rêve d’une grande nation canadienne unie semble plus que jamais à portée de main. Les jeunes générations ayant grandi sous l’égide de la Loi sur les langues officielles et dans le contexte d’une redéfinition de l’identité canadienne - dont la bonne réceptivité fut accrue par la mondialisation concourante - n’aspirent plus à la division et ont tendance à voir dans l’Autre une complémentarité qui les renforce, à l’instar de Saint-Exupéry qui écrivait « Si je suis différent de toi, loin de te léser, je t’augmente. » Par ailleurs, le caractère bilingue du pays, malgré quelques remous occasionnels, voit sa tendance au renforcement et à la croissance avec 34 % des élèves canadiens qui poursuivent leurs études entièrement en français (soit dans des écoles francophones du Québec, des écoles francophones hors-Québec ou des écoles d’immersion française hors-Québec prévues à l’intention des anglophones et des allophones) et l’enseignement de la seconde langue officielle commence à porter ses fruits (par exemple, selon Statistique Canada, le tiers des anglophones du Canada terminent leur secondaire avec un niveau de français considéré comme avancé ou très avancé).
Le Canada d’aujourd’hui demeure néanmoins un pays imparfait, une odyssée inaccomplie, un édifice inachevé. En revanche, les défis mondiaux auxquels se promet d’être confrontée l’humanité ces prochaines années et décennies devraient nous rappeler que l’union fait la force et que l’intégration respectueuse, stratégique et optimisée des cultures les unes aux autres, sous les auspices de la complémentarité et de la fraternité, comme au Canada, saura être garant de l’évolution naturelle des sociétés humaines à l’ère de communications révolutionnées et de l’essor, ultimement, d’une grande communauté humaine consciente de son essence et de son identité qui n’est qu’Une.
Dans ce contexte, souvenons-nous de l’importance de l’histoire, puisque le présent est l’aboutissement du passé et le témoin du futur ; mais ne sacralisons pas non plus ce qui s’est fait hier en le posant comme un absolu duquel relève salut ou damnation. C’est aujourd’hui que s’écrit demain et ce n’est qu’intériorisé en nos consciences que peuvent germer les graines du changement. J’invite dès maintenant tous les jeunes Canadiens et en particulier les Québécois, qui dans cette relation conjugale, ont eu tendance à faire chambre à part ces dernières décennies, à investir dès maintenant leur avenir en prenant part au changement ; un changement qui commence en pensées, qui deviennent des actions, qui influencent nos interactions, pour finalement engendrer des mouvements. Aux Québécois indépendantistes qui se battent, en vain, depuis près d’un demi-siècle, j’en appelle à ce devoir de mémoire dont vous semblez tant vous plaire à faire l’apologie : rappelez-vous que c’est tout en étant minoritaires, mais non moins fiers et ouverts sur leur prochain - fidèles ainsi à leur foi en les enseignements de Jésus-Christ – un prochain d’abord Amérindien, puis Européen d’origines diverses (dès le régime français), puis Américain, puis Irlandais et Écossais, puis tous les autres qui s’y sont greffés, que les Canadiens-français ont exploré, colonisé, survécu et rayonné d’un océan à l’autre jusqu’à aujourd’hui. C’est en demeurant authentiques et en prenant la place qui leur revient au Canada qu’ils ont su forger durablement et irrémédiablement l’histoire de ce pays et lui donner à peu près tous ses symboles (à l’exception de la couronne britannique). À ces indépendantistes, je vous invite à répondre à l’appel de Lucien Bouchard de réinvestir les institutions et la vie de ce pays et ainsi éviter de laisser filer le train tout droit. C’est niveler par le bas que de penser que les intérêts de l’une des provinces ou de l’une des communautés linguistiques s’inscrit forcément à l’encontre de ceux des autres. Nous avons bien plus en commun que de différences.
Alors, c’est à nous tous, aujourd’hui, qu’il appartient de s’engager personnellement à poursuivre cette grande épopée inachevée qu’est le Canada et à tracer les lettres d’une fin heureuse digne d’un conte de fée. Enfin, pour citer les cinquième et sixième vers du quatrième couplet de la version originale du Ô Canada composé à l’occasion de la Saint-Jean-Baptiste, fête patronale des Canadiens-français, en 1880, « Sachons être un peuple de frères, Sous le joug de la foi. » Une foi en quelque chose de plus grand, ou simplement, en ce monde meilleur qu’il nous appartient tous de façonner à l’image que nous souhaitons lui donner.