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  • Samuel Samson

« En français ! »

« On est colonisés si on pense qu’on est colonisés, on est une minorité si on pense qu’on est une minorité. »

- Pierre E. Trudeau

La verve d’un politicien aspirant aux commandes d’un parti déjà taxé d’obsolescence, alors qu’il aurait insolemment réclamé une chanson en français pendant un spectacle anglophone présenté par un festival de musique émergente, en Abitibi, aura eu des échos bien au-delà des congères et des épinettes qui esseulent le pays de Richard Desjardins de la vallée du Saint-Laurent en cette saison hivernale. Ces propos en auront choqué plus d’un et ce, à juste titre.

De deux choses l’une.

D’une part, considérant la position privilégiée qu’aura occupé – et que maintient, défiant toute éthique - le principal intéressé, à la tête du premier empire culturel de la province, pour ne pas dire du pays ; il est saisissant d’assister à la spectaculaire conversion – c’est le cas de le dire – du célèbre homme d’affaire en chantre d’un joual altier, alors qu’hier encore, son entreprise se faisait la promotrice, à ses heures, d’une culture populaire aux saveurs anglo-saxonne et fortement américanisée.

D’autre part, cette manifestation de la perpétuation du dogme du nivellement par le bas et de l’intégrisme linguistique caractéristique de la vieille garde du mouvement sécessionniste québécois ne peut être que déplorée, celle-ci ne nuisant qu’à la cause du français. Pourquoi ? Simplement parce que parler une langue, c’est penser en cette langue et par conséquent, non seulement la connaissance de plusieurs langues est-elle cumulative, mais plus encore, celle-ci ne peut forcément qu’ouvrir les horizons et élargir la pensée. La plus grande menace pour le français en Amérique du Nord ne vient pas de l’anglais, mais bien des francophones eux-mêmes. De nombreux exemples de par le monde ont démontré comment il était possible de vivre, de se développer et de s’épanouir même en milieu minoritaire – je pense ici notamment aux minorités syro-libanaises du Moyen-Orient, francophones et chrétiennes dans un univers arabophone et n’en ayant pas moins formé des élites culturelles et économiques partout où elles ont essaimé ou encore, plus près de nous et ici-même, à la situation des francophones hors-Québec qui démentent jour après jour les pronostics d’acculturation, sachant réinventer et ouvrir leurs communautés à l’aune contemporaine de l’exogamie, de l’immersion, de la francophilie, de l’immigration interprovinciale et internationale et d’un renouveau culturel inspiré par la confluence de leurs riches patrimoines culturels. Enfin, cette apologie d’une mentalité dépassée ne fait que susciter la rébarbativité, voire le dégoût, chez beaucoup, à l’endroit du français et de l’image archaïque de la réalité francophone qui s’en dégage. Bref, loin d’être favorable au français, ce genre d’attitude de peuple né pour un petit pain nourrit plutôt le déclin de la langue et de la culture qui y est associée. Plutôt que de limiter restrictivement l’expression culturelle des autres et d’entraver l’évolution naturelle et normale des cultures - y compris de l’inévitable métissage qui en découle – l’on doit promouvoir positivement le français et les cultures qui s’y adjoignent, de même que s’assurer du progrès dans un esprit de continuité et de perfectionnement.

Que l’on se comprenne bien. Loin de moi l’idée de vouloir minimiser les défis criants auxquels se confronte la diversité culturelle en ce siècle de plus en plus marqué par un certain hégémonisme, au grand dam des disciples d’Orwell.

Que l’on se comprenne bien. Loin de moi l’idée d’oblitérer l’épée de Damoclès qui balance l’ombre du spectre des comminations sur un futur qui pourrait ne pas être. À cet effet, je n’ai d’ailleurs jamais manqué à coups d’essais, de mémoires et d’articles, d’appeler un chat un chat, de mettre en garde, de faire état d’une acculturation – ou plus justement d’une mutation culturelle - d’ores et déjà soutenue et de proposer les avenues de solutions positives et réalistes qui selon moi, s’imposaient et s’imposent encore, de toute évidence. Néanmoins, au chapitre de ces constations, il convient de prendre garde à ne déifier toute identité culturelle ; en reconnaissant les facteurs évolutifs et adaptatifs qui en sont le ferment, en demeurant pleinement conscient de cette essence commune au genre humain et en se gardant d’entraver éventuellement l’avènement souhaitée d’une humanité fraternelle, renouvelée et augmentée. Il convient également, de façon plus utilitaire, de discerner les écueils de la recette gangrenée d’une identité fabriquée, dans les années 1960, sur les cendres de la consubstantialité de sa véritable nature assise sur le socle d’un projet pancanadien, aseptisée de la saveur de ses valeurs, claustrée dans le dogme de son infaillibilité et fermée à tout progrès. L’héritage de la Révolution tranquille et des années qui ont suivi est incommensurable, mais gardons à l’esprit qu’il s’agit justement d’un héritage et non d’une fin.

Je suis pleinement en faveur de la valorisation de la culture francophone au Québec dont je suis un grand défendeur, néanmoins, j’essaie toujours de comprendre en quoi le fait de parler, de chanter, de déclamer, de discourir ou de réserver à quelque autre usage l’emploi d’une autre langue dans les rapports privés viendrait-il limiter l’expression et l’affirmation de la langue de la majorité ou de n’importe quelle autre langue d’ailleurs. Le raisonnement est également valable pour la pratique religieuse.

Les tendances sont irréversiblement à la mondialisation et partant, à la communion de la diversité en une unité. Considérant que les cultures sont le fruit de l’évolution de communautés ayant prospéré isolément, mais aspirant aux mêmes desseins d’épanouissement, à travers des fonctions semblables et considérant que la révolution technologique d’un monde globalisé abolit les frontières de la réclusion, il devient inévitable d’évoluer vers une forme commune. Et dans la mesure où les différences culturelles ont souvent incarné l’instrument de la discorde, l’on ne peut que s’en réjouir. Néanmoins, ce type de transformation ne devra pas se faire au prix d’une invasion attentant à l’unicité de chaque être humain et à la richesse de chaque culture offrant la richesse de leur univers et représentant autant de perspectives uniques qui ne peuvent qu’enrichir la pensée et l’identité de l’humanité. En fait, en aspirant à l’unité, il faut tenter de concilier diversité, dialogue, métissage constructif et progressif et unicité personnelle des individus et, dans leur somme, des sociétés.

Toutefois et de façon plus pragmatique, dans le cas du Québec d’aujourd’hui, il faut retourner à nos racines en éprouvant, sans amertume, notre identité réelle et profonde. Il faut se regarder tel que nous sommes réellement et cesser d’entretenir le mythe tacite d’une certaine supériorité qui s’appuierait sur une différence linguistique inaliénable et la haine d’un envahisseur devenu imaginaire. Il faut cesser de s’abrutir aux limites de frontières provinciales dessinées sur un bout de papier. Il faut cesser de réprimer l’expression de la liberté et de l’identité de ceux qui peuvent avoir un vecteur d’expression linguistique, religieuse ou culturelle différent à celui de la majorité, qui si elle s’assume pleinement, ne devrait pas craindre son prochain avec lequel elle partage pourtant intimement et foncièrement les mêmes rêves et les mêmes ambitions. Il faut cesser de flétrir la dimension spirituelle de l’être humain. Il faut intérioriser ces valeurs dont on s’enorgueillit. Il faut cesser de plaindre le sort funèbrement visualisé d’une langue qu’on cloître jalousement aux retranchements d’un village gaulois, aveuglant la fécondité des terres au-delà des barricades. Il faut cesser de réécrire l’histoire en mettant l’accent sur des malheurs décontextualisés et en omettant cette grande épopée canadienne-française qui fit la fierté et la renommée de nos ancêtres. Il faut se rappeler qui nous sommes, la fonction de l’histoire étant justement de comprendre le présent, pour mieux bâtir l’avenir, mais il faut cesser de vivre dans la nostalgie du passé et river résolument nos regards vers demain.

Pour conclure sur une note allégée, tant qu’à parler de langue, il m’est revenu en mémoire de délicieux extraits de la chronique « Le journal au foyer », tiré de Propos canadiens de Mgr Camille Roy - premier critique littéraire canadien d’expression française, ancien recteur de l’Université Laval, cofondateur de la Société du parler français au Canada et ancien président de la Société royale du Canada que je tenais à vous partager, tant ceux-ci demeurent brûlant d’actualité un siècle après leur parution. Fait amusant, le journalisme canadien [comprendre ici canadien-français, en particulier dans un contexte québécois], y est notamment dépeint comme un « évangile politique ».

« Le journaliste, on l’a bien assez dit, est partout une grande puissance ; c’est une cinquième roue devenue nécessaire au char de l’État. On ne peut guère gouverner sans lui, et l’on ne peut, sans lui, préparer ni conquérir l’avenir.

Le journalisme canadien, malgré ses très manifestes imperfections, ne peut donc pas ne pas être lui-même une partie essentielle de notre machine politique.

Il suffit, pour se faire quelque idée de son influence sur l’esprit de nos compatriotes, de voir avec quelle avidité, dans nos villes, au coin des rues, sur les places publiques on se dispute le dernier numéro que le petit crieur annonce aux passants.

[...] C’était par le journal, et pour les grands comme pour les petits, la révélation progressive de l’âme elle-même de la patrie, s’exprimant par la bouche des orateurs ou par la plume du journaliste, et emplissant peu à peu notre tête et nos esprits de sa douce et prestigieuse image.

[...] C’est donc le journal qui initie l’électeur à la vie publique ; c’est lui qui allume et attise toutes les passions politiques du citoyen; c’est lui qui dicte au peuple ses jugements, et qui lui fait connaître tour à tour les hommes auxquels il serait imprudent de commettre la chose de l’État.

Et en quelque pays que l’on se transporte, et où l’on étudie l’action du journal, c’est toujours le même spectacle que l’on observe, et la même conclusion qu’il faut tirer. On a d’ailleurs épuisé déjà toutes les formules laudatives dans lesquelles on a essayé de saisir, et de concentrer, comme pour la faire saillir ensuite et briller d’un plus vif éclat, la gloire du journalisme; et l’on revient invariablement à cet axiome : le journal est une force, et la plus grande qui soit en nos modernes sociétés.

Une chose varie avec les pays et les climats, c’est la qualité du journal. Et dans notre pays neuf, et dans notre climat froid, il ne faut pas s’attendre à rencontrer le journalisme le plus parfait et le plus rempli de vie chaude et féconde. Si l’on excepte les crises électorales et politique qui font affluer dans les colonnes du journal des torrents de prose enflammée et criarde, on reconnaîtra volontiers que notre littérature politique, que la littérature des journaux est plutôt indigente, et que trop souvent elle ne se couvre guère d’autres couleurs que du rouge ou du bleu dont le rédacteur a teint son drapeau.

[...] Mais il y a une sorte de journalisme que notre inexpérience même ne saurait excuser. C’est le journalisme qui semble vouloir user de tous moyens pour faire sa clientèle nombreuse et payante, qui se livre aux réclames impudentes, qui raconte les immorales turpitudes de la vie quotidienne, qui joint au sérieux le plus grave le grotesque le plus ridicule. C’est le journalisme à images folles ou stupides, barriolé de je ne sais combien de couleurs, et qu’on appelle le journalisme jaune. Ce journalisme-là est le plus détestable qui soit, et il semble se donner pour mission de corrompre et de gâter le goût des lecteurs. [...] »

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